mercredi 15 février 2012

c. Antonin Artaud : un auteur handicapé mental du XXème siècle


Antonin Artaud est né à Marseille le 4 Septembre 1896. En 1936, il fait un barrage psychologique à Bruxelles, après un voyage au Méxiques, pendant ses fiançailles avec Cécile Schramm. Ce phénomène est en réalité l'acte d'un schizophrène qui soudainement et brièvement stoppe une action en cour de réalisation. De fait, il a déclaré en présence de son futur beau-père des propos choquants sur les effets de la masturbation chez les prêtes Jésuites. En 1937, il est interné de force. Le capitaine du navire à destination de Rouen sur lequel se trouvait Antonin Artaud l’envoya aux fers et au fond de la calle car, selon le Docteur Ferdière, il aurait montré des signes de violence. Artaud arrive à Rouen ligoté. Il est envoyé directement à l’hôpital de Rouen. Cet hôpital reçoit une autorisation de placement d’office, mais aucune preuve n’en ressort puisqu’elles ont été détruites pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1943, dès son arrivée, Artaud reçoit des électrochocs puisqu’il n’y avait aucun autre moyen à l’époque. Selon Adamov et Artaud lui-même, il aurait reçu plus de 50 électrochocs. Mais le Docteur Ferdière parle d’une « huitaine »,il affirme également que ce n’est pas lui qui lui a administré mais ses internes et ses assistants. Antonin Artaud reçoit une chambre particulière, il n’est donc pas mélangé aux autres malades dans les dortoirs. Les infirmières ont interdiction de le toucher, de rentrer en contact avec lui ou de faire le ménage dans sa chambre. Artaud fait ce qu’il veut « chez lui », selon le Docteur Ferdière, il vivrait dans la crasse s’il n’y avait pas eu un minimum d’encadrement et si le personnel ne l’incitait pas à se laver. Ce docteur affirme également que les amis de l’auteur étaient aussi sales que lui. Artaud fumait beaucoup de cigarettes, d’ailleurs son médecin lui en faisait passer autant qu’il le voulait. Artaud n’était pas un toxicomane, selon son médecin, puisqu’il a eu une désintoxication trop rapide pour être un toxicomane en profondeur, il n’avait donc aucune nécessité de substances illicites pour créer. Durant son internement, seulement douze personnes sont venues le voir.

Le traitement d’Artaud était basé sur le fait de vivre normalement, de bouger quand il le voulait et faire tout ce qu’il souhaitait. De plus, il se rendait souvent dans le jardin du Docteur Ferdière et des internes qui selon ce dernier étaient gentils. Un certain Abbé Julien parlait longuement avec Artaud. Ce dernier, professeur d’anglais, aidait Artaud dans ses traductions.

Le docteur entraînait Artaud à l’écriture, c’était un traitement thérapeutique d’expression : l’ergothérapie. S’il lui faisait travailler l’écriture et non pas une activité manuelle, c’est parce qu' Antonin Artaud est un artiste. Cela a donc un rapport avec sa vie. Ce traitement est autant thérapeutique qu’humain de la part du docteur Ferdière.

Lorsque son médecin lui montre un de ses textes publiés dans une revue littéraire anglaise, Artaud éprouve une grande joie. D’autant plus qu’il n’avait pas publié depuis 10 ans. A l’époque, ses lettres n’ont pas été publiées car elles étaient alors qualifiées de « lettres délirantes ».

En 1946, il sort de l'asile de Rodez, durant toutes ces années il se sera entièrement consacré à la poésie et la littérature. Nous allons nous appuyer sur un extrait des Ecrits de Rodez.

Nous allons ici analyser l'évolution de l’état psychologique d’Antonin Artaud grâce à sa thérapie d’expression artistique. Pour ce faire nous allons analyser quatre lettres de son œuvre Nouveaux Ecrits de Rodez. Par conséquent, nous allons comparer et décrire les changements qui se sont produits dans ces trois lettres.


Pour commencer, nous nous appuierons sur la lettre qu’il écrivit le 12 Février 1949 à Rodez. Tout d’abord, nous remarquons immédiatement que l’auteur parle de lui à la troisième personne du singulier en utilisant le pronom personnel sujet « il ».Il évoque également son séjour en hôpital à travers l’expression « un écrivain interné » (l.3) la modalisation "interné" comporte une connotation péjorative, comme s’il jugeait ses propres actions et son handicap, sa folie, à travers le regard d’une personne extérieure à lui-même. Le terme explicite « aliéné » (l.5) est accentué de part sa typographie, de fait, il est en italique dans le texte d’origine. La phrase « il y a dans ce mouvement de sympathie humaine qui vous a poussé à me réclamer, une inspiration occulte qui vient d’en haut, je veux dire Dr Ferdière qu’elle vous vient de Dieu » montre à travers l’évolution entre les termes «en haut» et «Dieu» et l’accentuation d'imprimerie de ce dernier terme que, dans son délire, Artaud est persuadé que le Docteur Ferdière est un envoyé de Dieu, un ange. On constate que la maladie mentale d’Artaud a des effets néfastes sur sa mémoire et sa personnalité, notamment grâce au passage suivant "Antonin Artaud était en effet un écrivain, un homme de théâtre et un acteur réputé".Cette énumération élogieuse au passé montre qu’il ne se reconnait plus dans cet homme, lui-même, il ne se sent plus la même personne. Le terme "efficace" (l.14) accentué de par sa mise en page est explicite dans sa signification, on comprend bien que Artaud juge que le traitement qui lui est proposé n'est d'aucune utilité et qu'il ne comprend pas pourquoi les "honnêtes gens" ne se sont pas manifestés.
           D'autre part, l'affirmation "Antonin Artaud est interné" (l.18) est la froide constatation d'un fait réel, il ne semble pas avoir conscience que cela le concerne directement étant donné que c'est de lui qu'il s'agit. L'expression "Antonin Artaud maintenu en camisole de force et empoisonné de force à tous ses repas" (l.20-21) montre que l'auteur n'a aucune envie de se trouver ici et que ce qui lui est infligé relève plus de l'emprisonnement que de l'hospitalisation. On voit cela grâce à la répétition du terme "force" deux fois dans cette locution. Par ailleurs, le participe passé "empoisonné" peut être interprété comme un signe de délire paranoïaque de la part de l'auteur. Dans sa lettre, l'auteur répète neuf fois "Antonin Artaud", pour lui c'est une autre personne, il ne s'identifie absolument pas à lui : il se nomme lui-même "Antonin Nalpas", du nom de jeune fille de sa mère, cela montre une bipolarité de l'artiste qui a deux identités, deux personnalités. Le substantif "religion" (l.30), accentué de par sa mise en italique, traduit la foi de l'auteur en Dieu, il est persuadé que sa maladie, sa folie, se résoudront grâce à l'intervention divine et à sa croyance en Dieu. De plus, les termes "religion" et "religieuse" sont répétés trois fois quelques lignes plus loin, ceci renforce l'idée énoncée précédemment. En outre, l'expression "JUSQU'A SA MORT" est écrite en lettres capitales dans la lettre d'origine, cela souligne son importance puisque l'on apprend par ce biais que Antonin Nalpas pense intimement que son double Antonin Artaud est décédé. A l'époque d'Artaud, la lettre a été considérée comme un long délire puisque les propos qu'il y tient sont parfois incohérents, comme lorsqu'il dit que son alter-égo a été "poursuivi par la foule des Français" jusqu'à son décès.
        Par ailleurs, à travers le champ lexical de la religion très présent tout au long de la lettre, et souvent accentué par des majuscules ou une inscription en italique, nous comprenons que la croyance occupe une place prépondérante dans la "folie" d'Artaud. "Cette Religion veut la chasteté intégrale […] et l'élimination irréductible de tout ce qui peut être sexualité […], l'exercice de toute immonde copulation". Ici, Artaud définit la religion qu'il pratique, celle en laquelle il croit. On remarque qu'elle est beaucoup plus stricte que le catholicisme ou le protestantisme qu'il qualifie d'ailleurs de "caricature éhontée" de la "Religion véritable de Jésus Christ". On comprend, à travers ces principes, que pour Artaud, la présence de règles est indispensable. Dans cette lettre, la folie d'Artaud est très présente, il affirme même que "Antonin Artaud est mort […] au mois d'Août 1939 […]pendant la durée d'une nuit blanche […] qui occupe l'espace de plusieurs journée intercalaires mais non comprise dans le calendrier de ce monde-ci –quoi[que] vraies comme les jours d'ici". Ici Artaud est entièrement pris dans son délire, il est persuadé d'être une nouvelle personne, Antonin Nalpas, succédant à Antonin Artaud. D'ailleurs il pense que "le véritable nom d'Antonin Artaud est Hippolyte" et que ce dernier aurait transporté le corps d'un saint à travers le temps. Dans son dédoublement de la personnalité Artaud pense qu'Antonin Nalpas est, au même titre que le Dr Ferdière qu'il qualifie d'"Ange de Jésus Christ", issu du "Ciel", une sorte d'envoyé de Dieu.


La deuxième lettre sur laquelle nous nous appuyons dans ce devoir date du 17 Septembre 1943 et a elle aussi été rédigée à Rodez. Peu de temps avant d'écrire cette lettre à son ami et médecin le Dr Ferdière, Artaud a subi une série d'électrochocs. Il y fait d'ailleurs référence dès le début de sa lettre avec la métaphore "secousse terrible mais salutaire" il accentue ce terme grâce à sa typographie afin d'exprimer le soulagement engendré par ce traitement et l'amoindrissement de ses crises. L'expression "je me sens retrouver la maîtrise de moi" montre bien qu'il semble remis de sa bipolarité puisqu'il parle ici de son esprit. Cette phrase nous annonce la disparition d'Antonin Nalpas, il signera d'ailleurs cette lettre de son véritable nom. Il cherche alors à prouver au médecin qu'il est bel-et-bien remis à travers l'affirmation "Je m'appelle Antonin Artaud" à la suite de laquelle il résume sa généalogie, son histoire personnelle ainsi que sa bibliographie durant treize lignes. On constate alors la totale disparition des symptômes de la bipolarité quelques mois seulement après la première lettre.


Pour finir, la lettre qui nous servira de support a été rédigée le 8 Juin 1946 à Paris après la sortie de l'hôpital d'Artaud. Dans cette lettre, il n'y a définitivement plus aucune trace de folie ou de délire de la part de l'auteur, ses propos sont structurés et cohérents. Il évoque un article qu'il avait "écrit contre le yoga" et qui n'est jamais parvenu à son destinataire ainsi que d'autres lettres ayant subies le même sort et demande à se qu'on les lui renvoie. On comprend ici que, malgré de nombreux détours, Artaud critique la censure opérée par l'asile sur ses écrits, y compris ceux dont il est satisfait. La phrase "je me rends compte maintenant […] que l'opinion est disposée à accepter bien des critiques" traduit d'ailleurs fort bien ce sentiment grâce à l'expression modalisée "disposée à accepter bien des critiques. Celle-ci sous-entend que les personnes du centre ne l'étaient pas. D'autre part, la prise de confiance en soi d'Artaud est indéniable, on le remarque grâce aux phrases "A la radio on m'a demandé aussi de prononcer quelques paroles. J'ai dit que je pensais que tout s'était très bien passé".


Pour conclure, on constate que malgré les reproches fait à la technique violente et aujourd'hui considérée comme barbare des électrochocs, l'artiste Antonin Artaud n'a plus présenté aucun symptôme de ses troubles mentaux ni de sa double personnalité. On peut donc légitimement soupçonner un lien de causalité entre ces deux faits.

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