mercredi 15 février 2012

Introduction


Préjugé : nom masculin. Croyance, opinion préconçue souvent imposée par le milieu, l'époque, l'éducation ; parti pris, idée toute faite.


Quel que soit le nom qu'on leur a donné, les handicapés mentaux ont toujours été stigmatisés par notre société et victimes des préjugés. Au Moyen-âge notamment, les "fous" étaient fréquemment brûlés ou enfermés au cachot jusqu'à ce que mort s'en suive. Cependant, la médecine et les soins prodigués à ces malades ainsi que les mentalités on beaucoup évolué, ce qui a permis de commencer à les intégrer à la société. Par ailleurs, grâce aux avancées technologiques et médicinales, certains de ces handicaps sont décelables avant même la naissance telle que la trisomie 21 par exemple.

Quelles ont-été les grandes étapes de l'évolution de la prise en charge des handicapés mentaux dans la société française du XIXème siècle à nos jours ?

Dans un premier temps, nous verrons comment les "fous" étaient considérés et quels étaient leurs traitements au XIXème siècle. Dans un deuxième temps, nous regarderons plus précisément les avancées et la reconnaissance du handicap mental faites au XXème siècle. Pour finir, nous observerons par quels biais notre société actuelle intègre les handicapés mentaux.




I. XIXème siècle: les "fous" et leurs traitements


             Pour commencer, nous allons étudier le XIXème siècle, avec tout d’abord la vision de la société sur les « fous », ensuite leurs traitements dans les asiles, et enfin nous nous intéresserons à Nerval, un auteur handicapé, à travers le poème « El Desdichado » extrait des Chimères.

a. La vision de la société sur les " fous" et leurs traitements


Au début du XIXème siècle, les "fous" quittent les prisons de droit commun dans lesquelles ils étaient jusqu'alors enfermés pour investir les asiles créés spécialement pour eux. Cependant, ils y restaient cloîtrés à l’écart du reste de la société, ce qui explique le peu d’information disponible à leur sujet.

En 1860, Morel publie Le Traité des maladies mentales. Ses idées seront reprises plus tard par Magnan qui classe les dégénérescences en deux catégories :

- Les normaux à la naissance qui souffrent de crises passagères causées par l'alcool, le palus, la misère, etc.
                       - Les anormaux à la naissance qui sont répartis en sous-catégories :

· Les dégénérés inférieurs qui sont appelés les "idiots" et les "imbéciles".
                                   · Les dégénérés moyens qui sont nommés les "débiles".
                                   · Les dégénérés supérieurs qui sont les pervers et les psychotiques.


Entre le XIXème et le XXème siècle, le nombre de "fous" a été multiplié par onze, passant de 10 000 à 110 000 entre 1838 et 1940. Les asiles étaient alors 8 fois plus peuplés que les prisons de droit commun.


b. Les asiles et leurs traitements



Au début du XIXème siècle, le médecin Esquinerol commence à mettre en place un réseau d'établissements d'accueil pour fous qu'il nommera lui-même "asiles". Avec l'abolition des lettres de cachets, les "insensés" sont traité de manière beaucoup plus diverses que précédemment, puisqu'ils étaient systématiquement envoyés en prison.

Au XIXème siècle, les "fous" ou "aliénés" pouvaient être placés en asiles par Placement d'Office (PO) ou Placement Volontaire (PV : par la volonté du peuple). Ceci était possible dans le cadre de la protection de la Société et des aliénés, conformément à la loi du 30 Juin 1838. Un individu pouvait également se présenter en asile et demander à se faire interner : il était alors dit en "service libre". A cette époque, la vie en asile ressemblait plus à un emprisonnement qu'à un internement. De fait, les traitements curatifs étaient peu nombreux et toute infraction au règlement était sévèrement punie. Pour ce faire, ils étaient souvent privés de promenades, de tabac, placés en chambre d'isolement ou immobilisés à l'aide de fauteuils de force, de camisoles ou avec des contentions sur leur lit. Jusqu'à la circulaire du 19 Juillet 1819, les gardiens d'asiles pouvaient être armés de bâtons, de nerfs de bœuf ou accompagnés de chiens qui s'en prenaient aux aliénés. Les traitements alors proposés par ce type d'infrastructure étaient aussi inefficaces que barbares. Les plus communs étaient la saignée, l'utilisation de purgatifs et/ou vomitifs afin de vider le corps de ses "humeurs" qui étaient considérées comme l'origine du mal. L'utilisation de sédatifs était aussi répandue. Parfois, afin de calmer un patient particulièrement énervé, le personnel lui faisait frôler la mort pour déclencher chez lui un état de choc. Les femmes étaient souvent stérilisées de force et se faisaient comprimer les ovaires en période de crise afin de les calmer. Tout les aliénés étaient régulièrement aspergés d'eau glacée afin de stopper leurs crises.
Les asiles fonctionnaient en totale autarcie et les aller et venues étaient très rares étant donné que les médecins, le personnel soignant et les internés vivaient dans l'enceinte de l'établissement. Les personnes internées l'étaient souvent à vie car elles avaient fort peu de chance de rémission. Par exemple, seul 5% des patients de la clinique de Passy sortent de l'asile remis.

c. Gérard de Nerval : un auteur handicapé du XIXème siècle






      Gérard de Nerval, de son vrai nom Gérard Labrunie est un écrivain et poète Français né le 22 Mai 1808 et mort le 26 Janvier 1855, à Paris où il est retrouvé pendu à une grille au niveau de l'actuelle place du Châtelet. Il eut de nombreuses crises de folie, notamment de Février à Septembre 1941. Ses crises le forçaient à faire des séjours répétés en clinique. Durant ses moments de lucidité, il écrivit de nombreux chefs-d’œuvre tels que Sylvie, Les Filles du feu et Les Chimères. Nous nous appuierons d'ailleurs sur le poème "El Desdichado" extrait de ce dernier recueil.




"El Desdichado", extrait du recueil Les Chimères, est un sonnet de Gérard de Nerval. Nous allons voir comment le mal-être et la folie de l'auteur transparaissent dans cette œuvre.

Dès le premier vers, on remarque une énumération « le ténébreux - le veuf - l'inconsolé » qui met en relief le désespoir et le mal-être mental de Nerval. "Le ténébreux" fait référence à son état d'esprit sombre puisqu'il sort de deux graves crises. "Le veuf" se rapporte à la mort de l'actrice Jenny Colon en 1842, pour laquelle il éprouvait un amour à sens unique à la limite de l'obsession. Certains prétendent d'ailleurs qu'il lui voua un culte après sa mort. "L'inconsolé" explicite sa tristesse et son malheur suite à cette disparition. L'utilisation de l'expression "prince d'Aquitaine" pour se désigner lui-même fait référence à Edouard de Woodstock (1330-1376) qui était remarquable lors des batailles grâce à son armure noire. Elle était, pour ses contemporains, une représentation visible de sa noirceur d'âme, son esprit sobre. Cela se rapporte ici à celle de Nerval : son handicap mental. Grâce à l'expression "ma seule étoile est morte", on comprend à nouveau la référence à Jenny Colon qui est accentué par la typographie du terme "seule". Cela insiste sur le noir, le néant, le vide, le désespoir de l'auteur. L'oxymore "soleil noir" associé au substantif "mélancolie" accentués par leur typographie ainsi que par la métrique de l'alexandrin mettent en valeur la tristesse, la noirceur et la folie de l'auteur. Nerval formule au vers neuf deux questions directes "Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?" Phébus étant l'un des noms d'Apollon, le dieu du chant, de la musique, de la poésie, mais aussi de la purification et de la guérison. On peut voir ici un rapport au handicap mental de l'auteur et à son souhait de guérison. Lusignan (1159-1194) fut le roi de Jérusalem, il était maladroit et désastreux dans son gouvernement. En opposition à Armand Louis de Gontaut-Biron (1747-1793), militaire français et amant de Marie Antoinette qui connut une rapide progression au sein de l'armée. Cette interrogation nous dévoile les doutes de Nerval qui se demande s'il a réussi brillamment ou échoué dans sa vie. On peut penser que tout ceci est une remise en question de l'auteur face à son handicap. Pour finir le vers douze "Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron" peut faire référence à deux événements marquants de la vie du poète : ses deux séjours en prison, l'Achéron étant une représentation métaphorique de l'univers infernal du milieu carcéral. Ou bien, ce peut être un rappel aux deux crises précédant de peu la rédaction de ce poème, ici l'Achéron, le fleuve des enfers, ferait référence à la folie de Nerval.

A travers tout ce sonnet, le poète nous explique à grand renfort d'images et de métaphores son abattement ainsi que ses troubles mentaux.

Pourtant, contrairement aux idées reçues, les œuvres d'artistes torturés par un handicap ou une maladie mentale ne sont pas forcément destructurées, "El Desdichado" en est l'exemple parfait.


II. XXème siècle : la reconnaissance du handicap mental


                A présent, nous nous intéresserons au XXème siècle. Nous évoquerons d’abord le personnage de Freud et le freudisme, puis nous observerons l’apparition des hôpitaux psychiatriques. Pour finir nous étudierons le cas d’Antonin Artaud et nous ferons l’analyse de trois des lettres des Nouveaux écrits de Rodez.

a. Freud et le freudisme


Freud est un élément majeur dans la prise en charge et la reconnaissance des causes du handicap mental.

Il naît en 1856 et meurt en 1939. Freud était un neurologue et un psychiatre autrichien issu d'une famille juive. Il a été professeur à la faculté de Vienne en 1883. Il partit en exil à Londres en 1838 pour fuir l'antisémitisme du régime nazi. Freud était athée et luttait contre la religion car selon lui c'était un obstacle à l'intelligence humaine et à son développement.




Il fut l'un des fondateurs de la psychanalyse qui est considérée comme un moyen de guérir les névroses par une analyse psychique. Elle est définie comme une méthode d'investigation dans les processus mentaux, thérapeutiques, fondée sur une théorie du fonctionnement psychique. Il a trouvé une explication aux phénomènes collectifs courants mettant en cause l'inceste ayant conduit à son interdiction. Il développe cette idée dans Totem et Tabou, qu'il écrit en 1913. Sa psychanalyse a été grandement critiquée par ses opposants qui lui reprochaient le manque de preuves scientifiques de son efficacité et le comportement sectaire de ses partisans. Il écrivit l'essai Le Moi et le Soi en 1923, celui-ci devint une œuvre majeure de la psychanalyse.



« Le Siècle de Freud est passionnant du début à la fin, selon Eli Zaretsky dans Le siècle de Freud, une histoire sociale et culturelle de la psychanalyse, ce n’est pas un essai de plus sur l’inconscient mais un récit documenté et critique du freudisme et est au niveau mondial sans précédent. »

            Le Freudisme est « la première grande théorie et pratique de la vie personnelle » qui inculque la notion de l’inconscient qui de nos jours nous paraît évidente. Cependant, cette compréhension de l’inconscient est une invention récente. Freud sera le premier à rompre, au XXème siècle, l'esprit rationnel et autonome des Lumières. La publication de l'Interprétation des rêves de Freud en 1899, mettra en avant une nouvelle manière d’être un humain. Cette nouvelle manière s’appelle le « modernisme ».

            En France, Jacques Lacan, après un retour aux textes de Freud, proposera un nouveau discours analytique. Lacan imposera la psychanalyse dans les pays latins et catholiques.

            Freud en libérant l’inconscient, aussi appelé la « libération du moi », le mot « moi » représentant l’inconscient, désintégrera l’ordre familial du XIXème siècle. Freud devient donc le complice involontaire d’une nouvelle aliénation.
 
             Freud sans le vouloir lancera la consommation de masse à cause de sa «convergence fatale», amenant ainsi les individus à assumer leurs désirs.



Dans un extrait du texte « Le rapport de la science aux autres domaines de la pensée », Freud remet en cause la séparation entre la science et les domaines comme la religion et la philosophie.

Dans les trois premières lignes de cette extrait, nous comprenons que l’auteur s’oppose clairement à la dissociation entre la science et les domaines du psychique. Pour ce dernier, la science est en rapport avec le psychique et le paranormal, notamment l’inconscient qui, jusqu’alors, faisait partie du psychique mais où Freud trouve des réponses scientifiques. Pour approfondir cette idée d’égalité, Freud écrira explicitement ligne quatre et cinq, « science, religion et philosophie auraient des droits égaux à la vérité », montrant la sûreté de ces propos comme une vérité générale, et son envie d’égalité dans tous les domaines. Insistant par la même occasion sur la liberté des hommes de choisir face à une telle situation. Par contre, Freud admet que son espérance et sa façon de penser sont belles et honorables, mais irréalisables à cause des antiscientifiques qui refusent l’avancée universelle. La phrase « malheureusement elle s’avère insoutenable » montre clairement que Freud n’a pas d’illusion quant à l’avancée rapide de sa philosophie de vie. Freud écrit que cette vérité sur l’égalité de la science ne doit pas être dite, puisqu’elle ne comporte aucune restriction, ni aucun mensonge, on le remarque avec le début de cette phrase explicite « la vérité ne peut pas être tolérante ». En revanche, l’extrait se termine sur la vision de l’égalité de la science et le fait que cette dernière soit présente dans toutes les activités humaines, mais souvent critique quand d’« autres puissances », religion, philosophie, etc., veulent en changer une partie.


b. Le début des hôpitaux psychiatriques


Grâce aux avancées faites dans la psychanalyse avec les écrits de Freud et ses comparses, un nouveau type de lieu d'accueil des handicapés mentaux voit le jour en France : les hôpitaux psychiatriques.



En 1937, le terme « asile » laisse place au terme « hôpital psychiatrique ». Cependant, le mot « aliéné » reste en vigueur jusqu'en 1958, il était utilisé pour nommer les handicapés mentaux internés dans les hôpitaux. Il n’est pas neutre, il a une connotation péjorative, ce qui souligne le manque de considération du personnel pour les patients.

De fait, au début du XXème siècle, on trouve toujours des livres de médecine prônant des traitements tels que le Bromure de potassium, la valériane, l'opium ou la morphine. En cas de crises, ces ouvrages proposent aux médecins le recours à l'eau froide, à la compression des ovaires ou à la flagellation. Cependant, ces mauvais traitements ne sont pas les seuls sévices infligés aux handicapés.

A cause du courant eugéniste, qui consiste en une modification de l'ADN afin de créer un idéal humain, une campagne de stérilisation forcée massive a été mise en place dans de nombreux pays, aux États-Unis, en Europe et au Japon. Mais, les maltraitances infligées aux handicapés ont parfois de terribles conséquences.

Max Lafont a déclaré que la famine dans les hôpitaux psychiatriques en France aurait fait 40 000 morts entre 1940 et 1944. Un tel bilan s'explique par l'indifférence et l'oubli général. De rares et faibles protestations n'ont pu empêcher ce massacre. Parmi ces victimes, se trouveraient les artistes Sylvain Fusco, Camille Claudel et Séraphine de Senlis.

Par ailleurs, le régime nazi dans le cadre de sa domination de l'Europe fait exterminer les malades mentaux notamment en France entre 1939 et 1945, pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre de l'opération Akiton T4.

Entre 1933 et 1944, les médecins nazis allemands ont expérimenté la lobotomie sans aucune anesthésie, ni aucun antiseptique sur les prisonniers des camps de concentration.

La lobotomie, aussi nommée leucotomie, est une opération chirurgicale du cerveau qui consiste à sectionner ou altérer la substance blanche dans le lobe cérébral. Cette opération a été formalisée en 1935 par les neurologues portugais Egas Moniz et Almienta Lima, de l'université de Lisbonne. Ceci leur valut le Prix Nobel de médecine de 1949.

Après la Seconde Guerre mondiale, la lobotomie est à son apogée notamment grâce à l'invention de Walter Freeman, le pic à glace, dans le cas d'une lobotomie trans-orbitale. Elle est utilisée sur les patients atteints de schizophrénie, d'épilepsie et même en cas de maux de tête chroniques. Cette pratique était souvent associée aux électrochocs, également appelée sysmothérapie ou électroconvulsivothérapie, et/ou à la cure de Sakel. Cette dernière consiste à provoquer chez le patient un coma éthilique par injection ce qui provoque une hypoglycémie sévère. Les médecins injectent ensuite progressivement du sucre aux patients. Au réveil ceux-ci sont censés être apaisés.

En 1950, de gros doutes s'installent chez les scientifiques vis à vis de cette méthode. De plus, la découverte des produits neuroactifs, plus efficaces et moins dangereux, ont favorisé le déclin de la lobotomie dès les années 1960. L'abus de lobotomie discrédite la psychiatrie organiciste pendant un temps. C'est justement à cette période que la psychothérapie connaît un essort majeur.

D’autre part, en Mars 1960, la France crée une politique de secteurs psychiatriques menée par les médecins désaliénistes. Les psychologues et les équipes médicales spécialisées (ergothérapeutes, éducateurs spécialisés, assistants sociaux, etc.) sont de plus en plus présents dans les services psychiatriques. La loi du 27 Juin 1990, met l'accent sur les soins et les droits des malades, mais autorise toujours les hospitalisations sans consentement.


c. Antonin Artaud : un auteur handicapé mental du XXème siècle


Antonin Artaud est né à Marseille le 4 Septembre 1896. En 1936, il fait un barrage psychologique à Bruxelles, après un voyage au Méxiques, pendant ses fiançailles avec Cécile Schramm. Ce phénomène est en réalité l'acte d'un schizophrène qui soudainement et brièvement stoppe une action en cour de réalisation. De fait, il a déclaré en présence de son futur beau-père des propos choquants sur les effets de la masturbation chez les prêtes Jésuites. En 1937, il est interné de force. Le capitaine du navire à destination de Rouen sur lequel se trouvait Antonin Artaud l’envoya aux fers et au fond de la calle car, selon le Docteur Ferdière, il aurait montré des signes de violence. Artaud arrive à Rouen ligoté. Il est envoyé directement à l’hôpital de Rouen. Cet hôpital reçoit une autorisation de placement d’office, mais aucune preuve n’en ressort puisqu’elles ont été détruites pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1943, dès son arrivée, Artaud reçoit des électrochocs puisqu’il n’y avait aucun autre moyen à l’époque. Selon Adamov et Artaud lui-même, il aurait reçu plus de 50 électrochocs. Mais le Docteur Ferdière parle d’une « huitaine »,il affirme également que ce n’est pas lui qui lui a administré mais ses internes et ses assistants. Antonin Artaud reçoit une chambre particulière, il n’est donc pas mélangé aux autres malades dans les dortoirs. Les infirmières ont interdiction de le toucher, de rentrer en contact avec lui ou de faire le ménage dans sa chambre. Artaud fait ce qu’il veut « chez lui », selon le Docteur Ferdière, il vivrait dans la crasse s’il n’y avait pas eu un minimum d’encadrement et si le personnel ne l’incitait pas à se laver. Ce docteur affirme également que les amis de l’auteur étaient aussi sales que lui. Artaud fumait beaucoup de cigarettes, d’ailleurs son médecin lui en faisait passer autant qu’il le voulait. Artaud n’était pas un toxicomane, selon son médecin, puisqu’il a eu une désintoxication trop rapide pour être un toxicomane en profondeur, il n’avait donc aucune nécessité de substances illicites pour créer. Durant son internement, seulement douze personnes sont venues le voir.

Le traitement d’Artaud était basé sur le fait de vivre normalement, de bouger quand il le voulait et faire tout ce qu’il souhaitait. De plus, il se rendait souvent dans le jardin du Docteur Ferdière et des internes qui selon ce dernier étaient gentils. Un certain Abbé Julien parlait longuement avec Artaud. Ce dernier, professeur d’anglais, aidait Artaud dans ses traductions.

Le docteur entraînait Artaud à l’écriture, c’était un traitement thérapeutique d’expression : l’ergothérapie. S’il lui faisait travailler l’écriture et non pas une activité manuelle, c’est parce qu' Antonin Artaud est un artiste. Cela a donc un rapport avec sa vie. Ce traitement est autant thérapeutique qu’humain de la part du docteur Ferdière.

Lorsque son médecin lui montre un de ses textes publiés dans une revue littéraire anglaise, Artaud éprouve une grande joie. D’autant plus qu’il n’avait pas publié depuis 10 ans. A l’époque, ses lettres n’ont pas été publiées car elles étaient alors qualifiées de « lettres délirantes ».

En 1946, il sort de l'asile de Rodez, durant toutes ces années il se sera entièrement consacré à la poésie et la littérature. Nous allons nous appuyer sur un extrait des Ecrits de Rodez.

Nous allons ici analyser l'évolution de l’état psychologique d’Antonin Artaud grâce à sa thérapie d’expression artistique. Pour ce faire nous allons analyser quatre lettres de son œuvre Nouveaux Ecrits de Rodez. Par conséquent, nous allons comparer et décrire les changements qui se sont produits dans ces trois lettres.


Pour commencer, nous nous appuierons sur la lettre qu’il écrivit le 12 Février 1949 à Rodez. Tout d’abord, nous remarquons immédiatement que l’auteur parle de lui à la troisième personne du singulier en utilisant le pronom personnel sujet « il ».Il évoque également son séjour en hôpital à travers l’expression « un écrivain interné » (l.3) la modalisation "interné" comporte une connotation péjorative, comme s’il jugeait ses propres actions et son handicap, sa folie, à travers le regard d’une personne extérieure à lui-même. Le terme explicite « aliéné » (l.5) est accentué de part sa typographie, de fait, il est en italique dans le texte d’origine. La phrase « il y a dans ce mouvement de sympathie humaine qui vous a poussé à me réclamer, une inspiration occulte qui vient d’en haut, je veux dire Dr Ferdière qu’elle vous vient de Dieu » montre à travers l’évolution entre les termes «en haut» et «Dieu» et l’accentuation d'imprimerie de ce dernier terme que, dans son délire, Artaud est persuadé que le Docteur Ferdière est un envoyé de Dieu, un ange. On constate que la maladie mentale d’Artaud a des effets néfastes sur sa mémoire et sa personnalité, notamment grâce au passage suivant "Antonin Artaud était en effet un écrivain, un homme de théâtre et un acteur réputé".Cette énumération élogieuse au passé montre qu’il ne se reconnait plus dans cet homme, lui-même, il ne se sent plus la même personne. Le terme "efficace" (l.14) accentué de par sa mise en page est explicite dans sa signification, on comprend bien que Artaud juge que le traitement qui lui est proposé n'est d'aucune utilité et qu'il ne comprend pas pourquoi les "honnêtes gens" ne se sont pas manifestés.
           D'autre part, l'affirmation "Antonin Artaud est interné" (l.18) est la froide constatation d'un fait réel, il ne semble pas avoir conscience que cela le concerne directement étant donné que c'est de lui qu'il s'agit. L'expression "Antonin Artaud maintenu en camisole de force et empoisonné de force à tous ses repas" (l.20-21) montre que l'auteur n'a aucune envie de se trouver ici et que ce qui lui est infligé relève plus de l'emprisonnement que de l'hospitalisation. On voit cela grâce à la répétition du terme "force" deux fois dans cette locution. Par ailleurs, le participe passé "empoisonné" peut être interprété comme un signe de délire paranoïaque de la part de l'auteur. Dans sa lettre, l'auteur répète neuf fois "Antonin Artaud", pour lui c'est une autre personne, il ne s'identifie absolument pas à lui : il se nomme lui-même "Antonin Nalpas", du nom de jeune fille de sa mère, cela montre une bipolarité de l'artiste qui a deux identités, deux personnalités. Le substantif "religion" (l.30), accentué de par sa mise en italique, traduit la foi de l'auteur en Dieu, il est persuadé que sa maladie, sa folie, se résoudront grâce à l'intervention divine et à sa croyance en Dieu. De plus, les termes "religion" et "religieuse" sont répétés trois fois quelques lignes plus loin, ceci renforce l'idée énoncée précédemment. En outre, l'expression "JUSQU'A SA MORT" est écrite en lettres capitales dans la lettre d'origine, cela souligne son importance puisque l'on apprend par ce biais que Antonin Nalpas pense intimement que son double Antonin Artaud est décédé. A l'époque d'Artaud, la lettre a été considérée comme un long délire puisque les propos qu'il y tient sont parfois incohérents, comme lorsqu'il dit que son alter-égo a été "poursuivi par la foule des Français" jusqu'à son décès.
        Par ailleurs, à travers le champ lexical de la religion très présent tout au long de la lettre, et souvent accentué par des majuscules ou une inscription en italique, nous comprenons que la croyance occupe une place prépondérante dans la "folie" d'Artaud. "Cette Religion veut la chasteté intégrale […] et l'élimination irréductible de tout ce qui peut être sexualité […], l'exercice de toute immonde copulation". Ici, Artaud définit la religion qu'il pratique, celle en laquelle il croit. On remarque qu'elle est beaucoup plus stricte que le catholicisme ou le protestantisme qu'il qualifie d'ailleurs de "caricature éhontée" de la "Religion véritable de Jésus Christ". On comprend, à travers ces principes, que pour Artaud, la présence de règles est indispensable. Dans cette lettre, la folie d'Artaud est très présente, il affirme même que "Antonin Artaud est mort […] au mois d'Août 1939 […]pendant la durée d'une nuit blanche […] qui occupe l'espace de plusieurs journée intercalaires mais non comprise dans le calendrier de ce monde-ci –quoi[que] vraies comme les jours d'ici". Ici Artaud est entièrement pris dans son délire, il est persuadé d'être une nouvelle personne, Antonin Nalpas, succédant à Antonin Artaud. D'ailleurs il pense que "le véritable nom d'Antonin Artaud est Hippolyte" et que ce dernier aurait transporté le corps d'un saint à travers le temps. Dans son dédoublement de la personnalité Artaud pense qu'Antonin Nalpas est, au même titre que le Dr Ferdière qu'il qualifie d'"Ange de Jésus Christ", issu du "Ciel", une sorte d'envoyé de Dieu.


La deuxième lettre sur laquelle nous nous appuyons dans ce devoir date du 17 Septembre 1943 et a elle aussi été rédigée à Rodez. Peu de temps avant d'écrire cette lettre à son ami et médecin le Dr Ferdière, Artaud a subi une série d'électrochocs. Il y fait d'ailleurs référence dès le début de sa lettre avec la métaphore "secousse terrible mais salutaire" il accentue ce terme grâce à sa typographie afin d'exprimer le soulagement engendré par ce traitement et l'amoindrissement de ses crises. L'expression "je me sens retrouver la maîtrise de moi" montre bien qu'il semble remis de sa bipolarité puisqu'il parle ici de son esprit. Cette phrase nous annonce la disparition d'Antonin Nalpas, il signera d'ailleurs cette lettre de son véritable nom. Il cherche alors à prouver au médecin qu'il est bel-et-bien remis à travers l'affirmation "Je m'appelle Antonin Artaud" à la suite de laquelle il résume sa généalogie, son histoire personnelle ainsi que sa bibliographie durant treize lignes. On constate alors la totale disparition des symptômes de la bipolarité quelques mois seulement après la première lettre.


Pour finir, la lettre qui nous servira de support a été rédigée le 8 Juin 1946 à Paris après la sortie de l'hôpital d'Artaud. Dans cette lettre, il n'y a définitivement plus aucune trace de folie ou de délire de la part de l'auteur, ses propos sont structurés et cohérents. Il évoque un article qu'il avait "écrit contre le yoga" et qui n'est jamais parvenu à son destinataire ainsi que d'autres lettres ayant subies le même sort et demande à se qu'on les lui renvoie. On comprend ici que, malgré de nombreux détours, Artaud critique la censure opérée par l'asile sur ses écrits, y compris ceux dont il est satisfait. La phrase "je me rends compte maintenant […] que l'opinion est disposée à accepter bien des critiques" traduit d'ailleurs fort bien ce sentiment grâce à l'expression modalisée "disposée à accepter bien des critiques. Celle-ci sous-entend que les personnes du centre ne l'étaient pas. D'autre part, la prise de confiance en soi d'Artaud est indéniable, on le remarque grâce aux phrases "A la radio on m'a demandé aussi de prononcer quelques paroles. J'ai dit que je pensais que tout s'était très bien passé".


Pour conclure, on constate que malgré les reproches fait à la technique violente et aujourd'hui considérée comme barbare des électrochocs, l'artiste Antonin Artaud n'a plus présenté aucun symptôme de ses troubles mentaux ni de sa double personnalité. On peut donc légitimement soupçonner un lien de causalité entre ces deux faits.

III. XXIème siècle :l'intégration dans la société


Dans cette ultime partie, nous verrons les différentes thérapies actuellement proposées aux handicapés mentaux, ensuite nous nous intéresserons aux différents acteurs de leur insertion dans notre société. Pour finir nous nous pencherons sur le livre L’enfant Bleu de Henry Bauchau qui traite d’un adolescent psychotique.

a. Les différentes thérapies


               1. L'ergothérapie



              Ergothérapie : sbst. Féminin thérapie comprenant activités physiques variées dans le but de permettre l'adaptation des handicapés physiques ou mentaux dans la société.



             L'ergothérapie est originaire de l'Amérique du Nord, elle est apparue au XXème siècle, grâce aux médecins psychiatres qui ont développé l'activité physique comme thérapie avec leurs patients.

Après les deux guerres mondiales, le développement de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) favorise l'émergence de cette thérapie en France dans les années 1950. De fait, le nombre accru de malades liés aux guerres amène un besoin urgent de professionnels pour réorganiser et réadapter la vie sociale et professionnelle des patients. Dans les années 1970, le concept du handicap voit le jour et l’environnement social est considéré comme un facteur de santé. Il est avéré qu'il existe un lien étroit entre la santé d'une personne, son activité et son environnement. L'amélioration de l'image de l'ergothérapie de ces dernières années favorise son essor important. Cet essor est lié au vieillissement de la population et à l'apparition de nouvelles pathologies (autisme, trouble de l'apprentissage, etc.). Les activités proposées par les ergothérapeutes se trouvent être limitées puisqu'elles ne sont pas remboursées par la Sécurité sociale et sont donc entièrement à la charge des patients. Pour faire appel à un ergothérapeute, le malade doit bénéficier d'une prescription, cependant, les consultations ne sont pas toujours remboursées par la Sécurité sociale.



                « L'ergothérapeute est un professionnel de santé qui fonde sa pratique sur le lien entre activité humaine et santé ». Ils peuvent être ou fonctionnaires de l’État ou bien libéraux. Il existe en France dix instituts de formation pour ergothérapeutes, ces établissements sont privés ou semi-publics. Pour pouvoir intégrer ces établissements, il faut avoir fait sa première année de médecine ou passé un concours, pour lequel il faut être âgé d'au moins 17ans et avoir le bac. Cette formation dure trois ans et alterne cours et stages sur le terrain. L'ergothérapeute est un intermédiaire entre les exigences de la vie quotidienne en société et le besoin d'adaptation du patient. Il examine les effets physiques (lésion, maladies, etc.), les facteurs sociaux et environnementaux. Les rendez-vous sont des entrevues entre le malade et son ergothérapeute. Durant ces entre-vues, ils font des évaluations et des mises en situation concrètes qui permettent au médecin de voir les atouts, les acquis et les faiblesses du patient. L'ergothérapeute se renseigne sur le rôle social, les tâches particulières, la vie domestique, l'école, les loisirs, la famille et le travail du patient, ceci afin d'établir un milieu de vie adapté à ses besoins. Pour ce faire, il préconise des aides techniques, des assistants technologiques, des aides humaines et/ou animalières, voire même une modification de l'environnement, soit du logement et du lieu de travail en contactant directement l'employeur pour trouver des solutions adaptées au patient. Il travaille en étroite collaboration avec le reste de l'équipe soignante, de rééducation et de réinsertion.



                      L'ergothérapie a pour objectif de maintenir, restaurer et/ou permettre les activités humaines de façon sécurisée, autonome et efficace. Elle peut également prévenir, réduire voire supprimer un handicap en comptant sur une habitude de vie et un environnement sain. Ce type de thérapie veut garantir l'indépendance du patient et ceci autant au niveau social que professionnel. Elle peut avoir lieu en milieu hospitalier ou dans des établissements alternatifs comme les centres d’accueil, les foyers ou les hôpitaux de jour. L'ergothérapie prend en charge les maladies mentales ou les infirmités motrices.

               L'ergothérapie rééducative et réadaptative recherche une coordination des mouvements, le réapprentissage d'un acte quotidien ou l'adaptation au port d'une prothèse. Toutes les activités sont manuelles ou artistiques. Elle permet aussi la réadaptation à la vie familiale et/ou professionnelle.

           L'ergothérapie préventive permet d'assumer un handicap ou une maladie et conservant l'indépendance et l'autonomie de la vie quotidienne et sociale du malade. Les activités effectuées sont des tâches de la vie quotidienne comme les soins personnels, le travail et les loisirs. Elles sont sélectionnées selon les besoins de la personne. Ces activités s'effectuent individuellement ou en groupes composés de toutes sortes de personnes (âges et sexes variés). Elle est proposée à des patients de psychiatrie, de neurologie, de rhumatologie ou de rééducation fonctionnelle. C'est un traitement à la fois psychique et physique.


           2. La psychothérapie


            La psychothérapie est le nom donné au soin sur le plan psychique. Ce phénomène trouve ses  origines dans diverses méthodes dont l'analyse psychologique de Pierre Janet, la cure par la parole de Joseph Breuer ou encore l’hypnose et la psychanalyse. Cependant, Sigmund Freud est réellement le pionnier de cette idée. On date les origines de la psychothérapie à la fin du XIXeme siècle.
 Les psychothérapies ont pour objectif de « soigner par l'esprit » des souffrances aussi bien psychiques que somatiques dans le cadre d'une relation psycho-thérapeutique.
      
             Par exemple, dans le cas de la psychothérapie psychanalytique, la personne analysée  (c’est-à-dire le patient) est placée couchée sur un divan de telle sorte qu'elle ne voit pas le psychanalyste. Cette action est conseillée car elle est propice à la détente mais aussi à la régression. Elle permet un accès à la mémoire infantile, aux rêves et surtout à l’association libre ( le patient doit dire tout ce qui lui passe par la tête). Durant toute cette action thérapeutique, le psychothérapeute intervient le moins possible pour favoriser la parole de l’analysé.

             Autre exemple : la psychothérapie  individuelle. Elle diffère de l’exemple précédent pour plusieurs raisons. La principale différence est que l’entretien est fait en face à face. De plus, le thérapeute intervient de manière plus directive.
              Dans le cas du handicap mental, la psychothérapie est un moyen de soulager le patient et d’essayer de le comprendre. Quand la maladie n’a pas de lien avec la physionomie mais seulement avec la psychologie et qu’elle a été déclenchée par un évènement traumatisant de la vie du malade, la psychothérapie est d’autant plus conseillée. De fait, elle va permettre de comprendre les fondements et les origines de la maladie dans certains cas. Cependant, même si certaines maladies (comme la schizophrénie) sont déclenchées durant la vie (contrairement à des maladies comme l’autisme) , toutes les personnes touchées sont prédestinées à en être victimes.




3. Le comportementalisme



Le comportementalisme prend en charge les personnes ayant des difficultés rationnelles (ex. : autisme) et/ou un comportement pathogène (inadapté, morbide ou répétitif). Elle part du principe qu’elle doit aider à modifier le comportement dans le but que le patient puisse s’intégrer dans le milieu où il vit. Le comportement est le reflet du milieu de vie du patient et des conditions dans lesquelles il vit tels que la famille, la scolarité et l’entourage du patient. Le comportementalisme se distingue des autres thérapies parce qu’il n’a aucun besoin de connaître la maladie de la personne. Chaque trouble est traité séparément, cela s’appelle le programme de conditionnement opérant. Ceci ce passe sous contrôle d’infirmiers et/ou d’éducateurs. Le traitement peut être une demande ou un désir du patient qui veut modifier lui-même une habitude. La théorie comportementale est un processus éducatif qui permet d’aider ceux en difficultés psychologiques.

 Avant le début de la thérapie, le patient et le thérapeute passent un contrat sur la durée approximative des soins. La théorie comportementale est que chaque symptôme représente une maladie. Cette théorie s’appuie sur une méthode d’apprentissage et de conditionnement, mettant en place un traitement permettant de changer le comportement handicapant. En effet, lorsqu’un comportement handicapant disparaît, cela s’appelle un processus d’extinction. Pour modifier un comportement inadapté, on utilise l’apprentissage, le conditionnement et le reconditionnement. Dans le cadre d’un entrainement, pour appréhender un ensemble de circonstances, on utilise la théorie du comportement-cible. Avec cette thérapie, on ne cherche pas à interpréter le trouble, mais seulement à aider le patient.

b. Les acteurs d'insertion


             1. L’action de l’Etat



          L’État français met en place de nombreuses infrastructures afin de venir en aide aux personnes le plus dans le besoin, notamment les handicapés mentaux. Il a par exemple édité une loi en 2005 qui modernisait la définition du handicap. Elle obligeait la Société à mettre en place de nouveaux dispositifs afin de compenser leur handicap. L'une de ces dispositions est l'Etat-providence.

          L’État-providence est une conception de l’État qui intervient dans la régulation du domaine économique et social. L'objectif de l’État est de redistribuer de manière équitable les richesses aux plus nécessiteux, dans le cas que nous étudions : les handicapés mentaux. Ce projet est donc financé par les administrations publiques. La solidarité entre tous les citoyens et la justice sociale sont les fondements de cette conception. Effectivement, les déficients mentaux sont l'objet de plusieurs aides comme l’État-providence qui leur permettent de se loger, de se nourrir, de leur ouvrir l'accès à l'éducation et par conséquent, de subvenir à leurs besoins les plus importants. De plus, ce concept permet aux personnes qui en sont bénéficiaires une protection sociale sous forme d'assurance contre le risque de leur situation, mais aussi un système d'assistance financé par l'aide sociale.

          Dans le cas spécifique des handicapés mentaux, des structures adaptées ont été mises en place. Par exemple, nous retrouvons des organismes comme la S.E.G.P.A (Section d'Enseignement Général et Professionnel Adapté) ou les R.A.S.E.D (Réseau d'Aide Spécialisé aux Élèves en Difficulté). Ensuite, nous pouvons remarquer l'existence des hôpitaux de jour ou de maisons de repos aussi financés par l'état et qui prennent en charge les handicapés gratuitement puisque la plupart du temps les séjours dans ces installations sont remboursés par la Sécurité sociale.

          Par ailleurs, l’État donne aussi aux adultes handicapés une allocation mensuelle : l'AAH (Allocation pour Adulte Handicapé). La somme versée ne dépasse pas 700€ et diminue dès lors que la personne a un emploi.

          Cependant, l’État-providence est menacé. En effet, des problèmes de financement et d'aménagement mettent ces aides en danger. L’État providence est donc sujet à débat. L'éventualité de sa suppression n'est donc pas à écarter.





2. Un exemple d'association : HAARP



Le SAVS "La Montagne" (Service d'Aide à la Vie Sociale) est un des centres faisant partie d'une association plus grande : la HAARP (Handicap Autisme Associations Réunies du Parisis). C'est un centre de service d'aide aux personnes handicapées mentales. Il peut accueillir 36 personnes. En 2010, un tiers de ces personnes était de sexe féminin.

L'âge moyen des résidents de ce service est de 46 ans et 7 mois. Cependant, il existe un écart d'âge conséquent la plus jeune ayant 22 ans et la plus âgée 57 ans. La population fréquentant le SAVS "La Montagne" est vieillissante malgré le départ et l'arrivée de 10 personnes entre 2008 et 2010. Leur accompagnement dure en moyenne 10 ans, mais a déjà atteint un maximum de 26 ans. 13 de ces adultes vivent en petit comité tandis que les autres vivent seuls ou en couple à leur domicile. 50% des résidents bénéficient de soins adaptés comme des traitements médicamenteux, des entretients psychothérapeutiques en CMP (Centre Médico-Psychologique) ou en cabinet, séjours en CATTP (Centre d'Accueil Thérapeutique à Temps Partiel), hôpital de jour ou maison de repos, mais aussi des hospitalisations ou bien des rendez-vous avec la psychologue du service SAVS.


           Dans les 36 résidents du SAVS "La Montagne", 25 travaillent à l'ESAT "La Montagne" (Établissement d'Aide par le Travail), 8 autres travaillent dans d'autres ESAT et les 3 restants n'ont pas d'emplois. Toutefois, plusieurs d'entre eux montrent de plus en plus de difficultés à aller travailler et le taux d'absentéisme augmente, pour certains ceci peut conduire à un arrêt total de l'activité.



             Le 14 Décembre 2011, nous sommes allées dans les locaux de l'association HAARP à Cormeilles en Parisis où nous avons pu interroger trois membres de cette équipe qui accompagne les handicapés mentaux et psychiques dans leur vie quotidienne.



            La première personne que nous avons interviewée est Madame Jenny Jolivel, chef du service SAVS (Service d'Aide à la Vie Sociale), ce service est subventionné par le département. Elle nous a appris que le CAT (Centre d'Aide par le Travail), le premier service de l'association, a été créé en 1984 par des parents d'handicapés mentaux qui souhaitaient leur offrir la meilleure prise en charge possible. Le SAVS a quant à lui été créé en 1986. Aujourd'hui la HAARP compte sept établissements dont le Chare de Magny, un foyer d'hébergement, ainsi qu'une IME (Institut Médico-Educatif). Lors de fusions récentes, deux établissements de Montigny ont pris la décision commune de faire fusionner leurs centres alors que pour deux établissements du Vexin, l'accord du conseil fut nécessaire pour appliquer la fusion.

           De plus, tous les salariés de l'association sont des professionnels reconnus par l’État. 80% des chefs de service dans ce milieu sont d'anciens éducateurs spécialisés. Cependant, pour avoir accès à se poste, ce n'est pas obligatoire, il suffit d'être détenteur du diplôme de chef de service et d'avoir de préférence déjà travaillé dans le social. Le rôle de la chef du service médico-social du SAVS est d'accompagner et d'organiser les éducateurs et d'assurer la liaison entre eux et la direction afin de gérer le planning administratif. Dans ce cadre, elle a tout de même un contact quotidien avec les handicapés pour qui elle est un point fixe de l'accueil.

           De fait, le SAVS est un service d'aide à l'autonomie des adultes handicapés. Conformément à la nouvelle définition du handicap de 2005 et à la loi obligeant la société à mettre en place une compensation de tous les handicaps. Pour pouvoir y être admis, il faut remplir certains critères : il faut se procurer une orientation MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapé), avoir une activité de jour (travail ou hôpital de jour), avoir des ressources pour subvenir à ses besoins, payer son logement, le médecin, etc. C'est pourquoi l'AAH (Allocation pour Adulte Handicapé) a été créée. Il faut d'autre part être relativement autonome afin de pouvoir se déplacer seul dans les transports en commun par exemple, ne pas être dépendant au niveau de l'hygiène, mais surtout il faut qu'une réelle demande soit formulée par la personne handicapée mentale. Cependant, la décision finale qui est de savoir si cette personne intégrera le service revient aux professionnels de l'association et en second lieu aux parents. Dans chaque établissement SAVS, un psychologue est présent. Cependant, la plupart des handicapés sont suivis individuellement à l'extérieur du service soit dans un CMP (Centre Médio-Psychologique) soit par un psychologue libéral. Pour le personnel de l'association le suivi en CMP est plus rassurant car ce type de centre a un lien privilégié avec les hôpitaux que ne possèdent pas les psychologues libéraux. Les exclusions du SAVS sont rarissimes et doivent obligatoirement être accompagnées d'une réorientation pour le patient. Si les établissements alentours sont dans l'incapacité d'accueillir le handicapé, il reste dans l'établissement d'origine en attendant qu'une place se libère.





           Ensuite, nous avons rencontré Madame Delphine Bonal, éducatrice spécialisée du service de Madame Jolivel. Pour exercer ce métier, il faut être animateur de premier ordre et détenir le DNES (Diplôme National d’Éducateur Spécialisé). Le rôle des éducateurs est d'accompagner les personnes handicapées dans leur quotidien, sans jamais avoir une quelconque action sur leur emploi si elles en possèdent un. Ils sont là pour les aider dans leurs tâches quotidiennes comme les courses, les démarches administratives, etc., ainsi que de leur fournir un soutien psychologique. Cependant, même si dans ce cadre ils peuvent être amenés à évoquer des thèmes tels que la famille ou les amis des handicapés, ils ne doivent jamais évoquer leur vie privée : la relation qu'ils entretiennent avec eux est professionnelle et non pas amicale. Un service de soutien et d'écoute téléphonique 24/24h est mis en place grâce à un roulement entre les différents éducateurs. Lorsqu'ils organisent des sorties, un seul éducateur est nécessaire pour encadrer le groupe car les adultes sont assez autonomes. Il n'est utile d'avoir plusieurs accompagnateurs que pendant les voyages plus longs.



          Enfin nous avons interrogé Monsieur Sébastien Deschler, chef de l'atelier relieur, packaging et saisie informatique de l'ESAT "La Montagne". Cette branche de l'association est en partie subventionnée par l’État et bénéficie en plus d'une part du budget total de l'organisation. L'ESAT est considéré comme un lieu d'accueil de jour, les personnes y travaillant sont soit logées dans leur propre logement, soit en internat au Foyer de Vie "La Montagne" par exemple, soit, pour les plus atteints, chez leurs parents. Monsieur Deschler n'a bénéficié d'aucune formation particulière pour travailler au contact des handicapés. Il est arrivé à ce poste par hasard car il y a peu de travail dans cette branche. Cependant, un moniteur pour adultes handicapés doit posséder au moins un CAP et avoir au minimum 5 ans d'expérience professionnelle. Il doit adapter sa méthode d'apprentissage au handicap des personnes avec qui il travaille, de fait, presque aucun diplôme du cursus classique n'est accessible aux handicapés mentaux. Pour ces derniers, l'exercice d'une profession est un réel avantage. En effet, cela leur permet de s'ouvrir au monde extérieur, de se confronter aux autres et d'obtenir une reconnaissance pour le travail à la fois morale et financière puisque chacun d'entre eux reçoit une paye à la fin du mois. Par contre, leur salaire est inférieur au smic, il peut être couplé à l'AAH mais la somme reversée, de 700€ maximum, diminue lorsque leur salaire augmente et au-delà d'une certaine somme, ils ne peuvent plus prétendre à cette allocation. Le travail des adultes handicapés est sérieux, appliqué et soigné. Ils travaillent 35h par semaine, 7h par jour, bénéficient de 15 minutes de pause toutes les deux heures, et de 5 jours de congés par trimestre comme n'importe quels autres salariés en France.


c. Henry Bauchau : un auteur actuel qui écrit sur les handicapé


Henry Bauchau, né le 22 Janvier 1913 à Malines en Belgique, est un psychanalyste, poète, romancier et dramaturge. Avant d'être mobilisé en 1939 à l'âge de 26 ans, il était journaliste et militait dans des mouvements de jeunesse chrétiens. Plus tard dans la guerre, il s'engagera dans la résistance et sera blessé dans les maquis d'Ardennes, il restera donc à Londres jusqu'à l'Armistice. Son vécu ainsi que sa profession vont l'inspirer tout au long de ses écrits. Notamment, pour le roman L'incendie Sainpierre où il relate l'incendie de sa maison maternelle lors de l'invasion allemande, ou le roman L'enfant bleu. Cet ouvrage est celui sur lequel nous allons nous appuyer pour ce devoir puisqu'il y parle d'un adolescent psychotique.

Dans cet ouvrage les évènements nous sont relatés à travers le point de vue de Véronique Vasco, psychologue de l'adolescent Orion. Elle va suivre cet adolescent pendant douze ans, de l'âge de 13 ans à 25 ans. Il lui parlera du "Démon de Paris et banlieue", du "Démon que de faute !", du "Démon blanc" et de tout les autres, qui l'attaquent avec leurs rayons dès qu'il est mis en situation de stress, confronté à un imprévu ou un milieu inconnu (le retard d'un bus, d'un métro d'une personne, entrer dans un café seul, parler en public, perte d'un sac, etc.).

          Afin de voir l'évolution de la psychose chez Orion ainsi que les effets de la thérapie sur l'adolescent, nous nous appuierons sur deux extraits de L'Enfant bleu, d'Henry Bauchau : la "Dictée d'Angoisse numéro trois" d'Orion ainsi qu'un passage du dialogue du dernier chapitre du roman : "Aujourd'hui, je peux payer moi-même".

Orion est adolescent de 14 ans dans ce passage du livre il dicte durant sa séance avec le Docteur Vasco, ses craintes et ses épreuves de la semaine qu'il nomme lui-même "dictée d'Angoisse". Il utilise une syntaxe simpliste pour exprimer ce qu'il ressent telle que "On ne veut pas comme on ne sait pas nager". De plus, elle est parsemée de fautes de français comme "devenir noyé". On remarque également qu'il adopte un comportement enfantin, encore plus présent pendant ses crises. L'expression "l'île Paradis numéro 2" reflète bien cette idée, le terme modalisé "Démon" y contribue également. Par ailleurs, ce dernier a une connotation folle et irréelle. Au cours de sa "dictée d'Angoisse", Orion répète trois fois le terme "rayon" qui pour lui a un sens très fort, cela illustre sa détresse devant les visions imposées par son handicap. Il répète trois fois le verbe "taper", conjugué à différents temps, traduisant une instabilité psychique soulignée par l'expression "le Démon l'aurait fait", cela montre qu'il n'a aucun contrôle sur lui-même pendant ses crises qu'il vit comme une prise de possession de son corps par le Démon. L'utilisation du pronom personnel sujet "On" par Orion pour se désigner montre qu'il n'a pas conscience que l'adolescent qu'il est est une entité et une personnalité à part entière, pour lui elle est indissociable de ses Démons, de plus il n'a pas conscience de cet amalgame.

A la fin du roman, Orion est un jeune homme de 25 ans dont les projets amoureux avec Myla, une jeune femme elle aussi handicapée mentale, ont été contrariés par le père de cette dernière qui décide de les éloigner en emmenant sa fille avec lui au Brésil. Il appel en catastrophe le Docteur Vasco afin de lui donner rendez-vous. L'utilisation des deux pronoms personnels sujets "on" et "je" montre les effets de la thérapie, Orion commence à prendre conscience qu'il est une personne individuelle et que ses Démon ainsi que "l'enfant bleu" ne sont que des "amis" qui l'accompagnent et qu'il n'a pas à leur être soumis. On comprend que cet évènement est très important pour lui grâce à la phrase de Véronique Vasco "Je suis stupéfaite, presque effrayée, il a dit "je" trois fois". Les modalisations "stupéfaite" et "effrayée" insistent sur l'aspect soudain et presque merveilleux de cette progression. Cependant, malgré ce progrès et cette avancée incontestable Orion reste instable et désorienté, on le remarque grâce aux nombreux points de suspension qui interrompent ses phrases au rythme saccadé comme dans la phrase "On ne sait pas, Madame ... Si je sais, tu vas au café". En outre, nous comprenons également que cet événement même majeur dans la vie d'Orion n'est pas synonyme de guérison puisqu'il est toujours effrayé par le monde extérieur, comme nous pouvons le constater avec la phrase "là où il y a le moins de monde"

Pour conclure, il est indéniable que durant ses douze ans de thérapie, mélange de psychothérapie, psychanalyse et ergothérapie par l'art, avec Véronique Vasco, Orion a fait d'énormes progrès. Il est à présent autonome et n'a plus aussi peur du monde qui l'entoure qu'avant. Il est capable de surmonter seul des épreuves telles qu'une rupture amoureuse sans faire de crises majeures. Bien que la psychose ne puisse pas être guérie, les symptômes peuvent cependant diminuer de façon conséquente et permettre à ces malades de mieux s'intégrer à la société.

Conclusion


Depuis le XIXème siècle, la prise en charge des handicapés mentaux a considérablement évolué. De fait, au lieu de les enfermer et les martyriser, notre société actuelle cherche au contraire à les intégrer au reste de la population. Cette évolution a mis trois siècles à prendre de l'ampleur et à respecter ces êtres humains. Pour pouvoir intégrer correctement ces individus, il a fallu énormément évoluer dans les mentalités, dans les sciences et les traitements qui ont favorisés ce changement. De plus, de nos jours, les handicapés mentaux ne sont pas une seule et même entité, les maladies sont classées en plusieurs types de plus ou moins intrusives permettant ainsi une meilleure prise en charge et augmentant les chances de rétablissement, ou du moins de diminution du handicap. Il a fallu pour cela former de nombreuses personnes à des métiers jusqu'alors inconnus afin que des professionnels puissent encadrer ces personnes en difficulté.

Cependant, il existe encore de nombreux débats concernant le handicap, ses traitements et son encadrement. En effet, deux courants s'opposent aujourd'hui pour le traitement de l'autisme par exemple, l'un qui prône l'utilisation de la psychanalyse et l'autre, l’emploi du comportementalisme.


vendredi 3 février 2012

Annexes : Les textes (Nerval, Freud, Artaud, Bauchau)


EL DESDICHADO



Je suis le ténébreux - le veuf - l'inconsolé,

Le prince d'Aquitaine à la tour abolie ;

Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé

Porte le Soleil noir de la Mélancolie.



Dans la nuit du tombeau, toi qui m'a consolé,

Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,

La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,

Et la treille où le pampre à la rose s'allie.



Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?

Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;

J'ai rêvé dans la grotte où nage la syrène ...



Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :

Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée

Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.



"El Desdichado", Les Chimères, 1854.


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Le rapport de la science aux autres domaines de la pensée :

" Il est inadmissible de prétendre que la science n'est que l'une des branches de l'activité psychique humaine et que la religion et la philosophie en sont d'autres, au moins aussi importantes, où la science n'a rien à voir. De toute façon, science, religion et philosophie auraient des droits égaux à la vérité et tout homme pourrait librement établir ses convictions et placer sa foi. C'est là une opinion jugée extrêmement élégante, tolérante, large et dénuée de préjugés mesquins; malheureusement, elle s'avère insoutenable et c'est à elle qu'incombent tous les méfaits d'une représentation antiscientifique de l'univers, représentation dont elle se montre d'ailleurs, au point de vue pratique, l'équivalent. En effet, la vérité ne peut pas être tolérante, elle ne doit admettre ni compromis ni restrictions. La science considère comme siens tous les domaines où peut s'exercer l'activité humaine et devient inexorablement critique dès qu'une puissance tente d'en aliéner une partie. "
Freud        
    
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Les Nouveaux écrits de Rodez


Rodez, 12 février 1943
 Cher Docteur et ami,

Il y a dans votre offre de me prendre chez vous et de vous occuper directement de moi beaucoup plus que du désir de rendre justice à un écrivain interné contre tout droit et alors qu'aucun des médecins qui a eu à connaître de son cas n'a pu le reconnaître aliéné, il y a dans ce mouvement de sympathie humaine qui vous a poussé à me réclamer, une inspiration occulte qui vient d'en haut, je veux dire Dr Ferdière qu'elle vient de Dieu, et que c'est lui qui vous a poussé à porter secours à l'homme méconnu et repoussé des hommes que je suis. - Antonin Artaud était en effet un écrivain, un homme de théâtre et un acteur réputé et il est pour le moins étrange à première vue que son internement ait pu être maintenu plus de cinq années sans aucun adoucissement et sans qu'un mouvement de dégoût efficace n'ait soulevé en sa faveur la conscience des honnêtes gens. Il y a eu pourtant bien de l'indignation et bien des mouvements de rues et de foule en France et de par le monde Dr Ferdière qu'Antonin Artaud est interné. Il y en a eu au Havre autour de la cellule du service Pinel de l'Hôpital général du Havre où Antonin Artaud était maintenu en camisole de force et empoisonné de force à tous ses repas, pendant que les cloches de toutes les églises du Havre sonnaient et ce mouvement était mené de concert par André Breton et par l'Action Française, il y a eu à Rouen, à Sainte-Anne, et il y a eu d'innombrables rencontres sanglantes dans les rues de Paris au sujet d'Antonin Artaud pendant que celui-ci était en Ville-Évrard.
Mais ce que je veux vous dire Dr Ferdière est ceci : c'est que dans le cas d'Antonin Artaud il n'est pas question de littérature ni de théâtre mais de religion et que c'est pour ses idées religieuses, pour son attitude religieuse et mystique qu'Antonin Artaud JUSQU’À SA MORT a été poursuivi par la foule des Français. Et ici Dr Ferdière, écoutez-moi bien. Antonin Artaud au contraire de ce qu'on pu quelque fois penser de lui, était profondément religieux et chrétien. Il a été en ce monde le représentant le plus qualifié et le plus pur de la Religion véritable de Jésus-Christ dont le catholicisme exotérique n'était plus depuis longtemps la caricature éhonté. Cette Religion veut la chasteté intégrale non pas seulement du Prête mais de tout homme digne de ce nom et elle prêche la séparation absolue des sexes et l'élimination irréductible de tout ce qui peut être sexualité. Tout ce qui n'est pas chaste et qui est sexuel, hors du mariage, et DANS le mariage est réprouvé, et la reproduction humaine n'a pas lieu par l'exercice de toute immonde copulation. Antonin Artaud est mort à la peine et de douleur à Ville-Évrard au mois d'Août 1939 et son cadavre a été sorti de Ville-Evrard pendant la durée d'une nuit blanche comme celle dont parle Dostoïevsky et qui occupent l'espace de plusieurs journées intercalaires mais non comprises dans le calendrier de ce monde-ci - quoi[que] vraies comme le jours d'ici.
J'ai pris sa suite et me suis ajouté à lui âme pour âme et corps pour corps qui s'est formé dans son lit même concrètement et réellement mais par magie à la place du sien. Le véritable nom d'Antonin Artaud est Hippolyte et Saint Hippolyte fut vous le savez évêque du Pirée dans les premiers siècles de l'ère chrétienne après la mort de Jésus-Christ dont Antonin Artaud Hippolyte dans le temps a transporté le corps.
Mon nom à moi Dr Ferdière st Antonin Nalpas et à ce titre j'ai une famille sur cette terre qui me cherche et me réclame et à laquelle les pouvoirs publics français jusqu'ici ont refusé de me rendre. - Cette famille bien que sur terre est du ciel. Et c'est le Ciel dont vous venez vous même en réalité qui vous a envoyé à moi. Et je ne vous ai écrit cette lettre que pour vous demander de vous en souvenir littéralement et objectivement car en réalité ce qui est votre âme est un Ange et vous êtes un Ange de Jésus-Christ.
Antonin Nalpas

***

Rodez, 17 septembre 1943
Cher Docteur et très cher ami,


Comme je vous l'ai dit avant-hier j'ai subi ces derniers temps une secousse terrible mais salutaire; et maintenant qu'elle est passée je me sens retrouver la maîtrise de moi : Si ma mémoire a été un moment atteinte, elle me revient mieux qu'avant car bien des poussières et des scories qui engorgeaient mon moi profond sont sorties de ma conscience.
Je m'appelle Antonin Artaud, parce que je suis fils d'Antoine Artaud et d'Euphrasie Artaud encore vivante alors que mon père est mort à Marseille le 8 septembre 1924.
J'ai été baptisé en Marseille le 8 septembre 1896 à l'église des Chartreux sous le nom d'Antoine, Marie, Joseph Artaud transformé en Antonin Artaud et c'est sous le nom d'Antonin Artaud que j'ai signé mes livres :
Correspondance avec Jacques Rivière
(Collection Une œuvre, un portrait, N.R.F., 1924)
L'Ombilic des Limbes
(Idem, Nouvelle Revue Française, 1925)
Le Moine, traduit et adapté d'après Lewis
(Editions Denoël et Steele, 1930)
Héliogabale ou l'Anarchiste couronné
(Editions Denoël et Steele, 1934)
Le Théâtre et son Double
(Edition de la Nouvelle Revue Française, Gaston Gallimard)
Je suis né le 4 septembre 1896, à Marseille 4 rue du Jardin-des-Plantes.
Quand au nom de Nalpas, c'est comme je vous l'ai dit, le nom de jeune fille de ma mère, qui était fille de Louis et de Mariette Nalpas, et qui est née (ma mère) à Smyrne le 13 décembre 1870. Mais ce n'est pas pour cela que j'en est parlé, et je m'étonne grandement de l'avoir fait.
Car ce nom a d'autre part des origines Légendaires, Mystiques et sacrées qui auraient exigé qu'il fût laissé dans l'ombre du point de vue où il en a été question ici.
Vous connaissez dans le Midi un endroit non loin des bouches du Rhône et qui s'appelle LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER. Les Saintes Maries étaient QUATRE :
Marie-Bethsabée, Marie-Galba, Marie l'Egyptienne et la Sainte Vierge Marie Mère de Jésus-Christ. Et qu'elles ont abordé là en bateau après le Supplice du Golgotha.
Or la Légende dit et cela m'a été assuré par divers occultistes réputés à Paris que le nom civil et social de l'une d'entre elles était Nalpas, Marie Nalpas.
Mais c'est tout. Et je ne sais ce qui m'a pris ici d'avoir l'idée de rappeler ce nom que j'ai au contraire toutes les raisons de respecter et de ne pas prononcer DE CE POINT DE VUE, car d'autre part c'est un nom actuellement très répandu, ma mère ayant eu 6 frères et ceux-ci une cinquantaine d'enfant et petits-enfants, etc. etc.
Je vous communique ci-inclus une lettre d'un de mes cousins Richard Nalpas pour vous rassurer de ce côté-là.
Quand à la Canne qui fut celle de Saint Patrick Patron de l'Irlande et avant Lui la canne même de Jésus-Christ parce qu'elle fut plantée, modelée, façonnée et confectionnée par Jésus-Christ, je ne l'ai eue en mains que quelques mois de mai à septembre 1937 juste le temps de la revenir aux Irlandais à qui elle avait été volée à la fin du XIXème siècle. Sa vue a soulevé les foules vous le savez mes elle a surexcité la haine de la Police française et de la Police anglaise, vous connaissez le reste.
Tout cela Dr Ferdière est bien loin, oublié en parties, parce qu'un grand nombre d'acteurs de cet effroyable drame de la canne sont morts et vous savez que ne parvenant ni à me faire empoisonner ni à me faire assassiner (cela ce sont des fait indéniables Dr Ferdière et dont vous aurez des preuves des témoignages si ce n'est déjà fait) ils ont cherché à jeter le discrédit sur ma conscience et m'ont fait maintenir interné depuis maintenant six ans.
Mais où sont-ils maintenant eux-mêmes. Quant à la Canne elle est dans les mains des Irlandais, et moi je ne suis plus qu'un écrivain qui se remettra certainement à écrire dès qu'il se sentira un peu plus heureux, ce qui lui revient ici de jour en jour et depuis quelques jours.
Une seule et dernière petite chose me manque pour achever d'entrer en possession totale du bonheur.
C'est 1° une occupation, une attribution, une fonction, quelque chose ici qui me donne la sensation d'être utile, de servir à quelque chose, d'être ancré sur quelque chose, vous trouverez certainement un travail à me donner ici et qui m'occupera quelques heures par jour correspondant à mes capacités.
2° Encore un petit peu plus de nourriture si ce n'était pas trop vous demander. Vous m'avez déjà fait donner de la purée et de la confiture et vous savez que le corps humain sait et sent ce qui lui manque et mes forces achèveraient immédiatement de me revenir.
J'ai fait demander à ma famille un peu de beurre et de chocolat avec du pain et des galettes en attendant que ma mère ait retrouvé la santé, ou que ce soit moi enfin qui m'occupe d'elle le jour heureux ou la liberté m'aura enfin été rendue.
Excusez-moi de vous avoir de nouveau importuné et croyez en l'expression de tout mon dévouement.
Je ferai ici le travail que vous me donnerez.
Dans cette attente recevez le témoignage des mes sentiments les plus sincères et les plus empressés.
Antonin Artaud
***
Paris, 8 juin 1946
Cher ami

J'ai vu Jean Paulhan et André Gide dès mon retour ici et ils me disent que plusieurs lettres que je leur est écrites de Rodez et dont je leur rappelai le contenu ne leur sont pas parvenues. Entre autres l'articles que j'avais écrit contre le Yoga et envoyé a Jean Paulhan ne lui est pas parvenu.
S'il est resté quelques lettres de moi au secrétariat de l'asile et peut-être l'article est-il parmi elles ne voudriez-vous pas avoir l'obligeance de les faire rassembler et de me les faire envoyer en bloc. Je me rends compte maintenant que je suis ici que l'opinion est disposée à accepter bien des critiques et contre l'ordre social et contre bien d'autre choses pourvu qu'elles se justifient par la langue et par le ton et je crois que les lettres de moi qui sont restées à Rodez sont dans ce cas. La séance du théâtre Sarah Bernhardt a eu lieu hier après-midi à 5 heures et ce sont les textes les plus âpres qui ont été le mieux accueillis. Et à la Radio on m'a demandé aussi de prononcer quelques paroles. J'ai dit ce que je pensais, et cela a très passé.
J'aimerai beaucoup aussi que vous retrouviez les 12 premières pages de mon livre : le surréalisme et la fin de l'ère chrétienne.
Je veux achever aussi ce livre-là.
Vous pouvez me faire envoyer le tout 23 rue de la mairie à Ivry-sur-Seine.
Merci et croyez en mes meilleurs sentiments.


Antonin Artaud

Les Nouveaux Ecrits de Rodez, Antonin Artaud, 1994

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"DICTÉE D'ANGOISSE NUMÉRO TROIS
Il y a eu des rayons, des forts, alors on sautait à cause de l'absence des parents et on tapait sur les meubles. Jasmine est venue voir, elle cherchait à me calmer mais ça faisait des rayons en plus. Elle a crié, alors on a tapé un peu sa main. Elle a cru qu'on allait la taper plus fort ... Si elle avait continué à crier le démon l'aurait fait. C'est bien qu'elle soit partie. Elle s'est sauvée en claquant la porte.
Après les rayons se sont calmés, on s'est laissé tomber par terre, on pleurait et on sifflait un air d'opéra. On voulait aller aux Roches Noires pour nager et devenir noyé. Heureusement on n'avait pas de billet ... Avant de se coucher on est allé prendre la croix qui est dans l'armoire de maman, on l'a mise sur son ventre et on a pu s'endormir. Le matin elle était par terre, pas cassée, on l'a remise dans l'armoire et on a pris le petit-déjeuner ... Alors l'île Paradis numéro 2 existait de nouveau et on a dit à Bernadette de m'enfermer dans la roulotte, pour pas qu'on aille aux Roches Noires, comme on avait envie un peu trop ... On ne veut pas, comme on sait pas nager, me noyer tout près du bord et que des enfants me trouvent sur la plage.
Fin de dictée d'angoisse."

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"Madame ... Madame ... on doit te parler, ça presse... ça presse ! Je n'ai pas pu jusqu'ici, les parents étaient là ... ils sont partis pour les courses. Je prends le bus ... toi prends le métro je te rejoins à Charenton."
Je suis stupéfaite, presque effraayée, il a dit "je" trois fois. Il insiste : "Tu viens ?
- Je viens, mais où est-ce que je te retrouve ?
- On ne sait pas Madame ... Si, je sais, tu vas au café, juste au dessus de la bouche de métro.
- Je viens. Tu seras devant l'entrée ?
- Non, Madame, à l'intérieur, là où il y a le moins de monde. Viens vite, vite, Madame ... ça presse de te parler.
- Je pars tout de suite, j'arrive."

  L'Enfant Bleu, Henry Bauchau, 2004


mercredi 1 février 2012

Sources

Bibliographie :

- Les Chimères de Gérard de Nerval, 1854
- Les nouveaux écrits de Rodez d'Antonin Artaud, 1994
- L'Enfant Bleu de Henry Bauchau, 2004
- L'Encyclopédie de la Rochefoucauld, 1998
- Itinéraires Littéraires XIXème siècle
- Lecture Antologie pour le lycée, Tome 2, XIXème et XXème siècle
- Perspectives et Confrontations, XIXème siècle
- La psychiatrie d'hier et d'aujourd'hui de Patrick Richardson


Citographie :

- www.HAARP.fr
- http://sineurbe.blogspot.com
- www.telerama.fr
- http://ANFE.fr
- www.wikipédia.fr