mercredi 15 février 2012

Introduction


Préjugé : nom masculin. Croyance, opinion préconçue souvent imposée par le milieu, l'époque, l'éducation ; parti pris, idée toute faite.


Quel que soit le nom qu'on leur a donné, les handicapés mentaux ont toujours été stigmatisés par notre société et victimes des préjugés. Au Moyen-âge notamment, les "fous" étaient fréquemment brûlés ou enfermés au cachot jusqu'à ce que mort s'en suive. Cependant, la médecine et les soins prodigués à ces malades ainsi que les mentalités on beaucoup évolué, ce qui a permis de commencer à les intégrer à la société. Par ailleurs, grâce aux avancées technologiques et médicinales, certains de ces handicaps sont décelables avant même la naissance telle que la trisomie 21 par exemple.

Quelles ont-été les grandes étapes de l'évolution de la prise en charge des handicapés mentaux dans la société française du XIXème siècle à nos jours ?

Dans un premier temps, nous verrons comment les "fous" étaient considérés et quels étaient leurs traitements au XIXème siècle. Dans un deuxième temps, nous regarderons plus précisément les avancées et la reconnaissance du handicap mental faites au XXème siècle. Pour finir, nous observerons par quels biais notre société actuelle intègre les handicapés mentaux.




I. XIXème siècle: les "fous" et leurs traitements


             Pour commencer, nous allons étudier le XIXème siècle, avec tout d’abord la vision de la société sur les « fous », ensuite leurs traitements dans les asiles, et enfin nous nous intéresserons à Nerval, un auteur handicapé, à travers le poème « El Desdichado » extrait des Chimères.

a. La vision de la société sur les " fous" et leurs traitements


Au début du XIXème siècle, les "fous" quittent les prisons de droit commun dans lesquelles ils étaient jusqu'alors enfermés pour investir les asiles créés spécialement pour eux. Cependant, ils y restaient cloîtrés à l’écart du reste de la société, ce qui explique le peu d’information disponible à leur sujet.

En 1860, Morel publie Le Traité des maladies mentales. Ses idées seront reprises plus tard par Magnan qui classe les dégénérescences en deux catégories :

- Les normaux à la naissance qui souffrent de crises passagères causées par l'alcool, le palus, la misère, etc.
                       - Les anormaux à la naissance qui sont répartis en sous-catégories :

· Les dégénérés inférieurs qui sont appelés les "idiots" et les "imbéciles".
                                   · Les dégénérés moyens qui sont nommés les "débiles".
                                   · Les dégénérés supérieurs qui sont les pervers et les psychotiques.


Entre le XIXème et le XXème siècle, le nombre de "fous" a été multiplié par onze, passant de 10 000 à 110 000 entre 1838 et 1940. Les asiles étaient alors 8 fois plus peuplés que les prisons de droit commun.


b. Les asiles et leurs traitements



Au début du XIXème siècle, le médecin Esquinerol commence à mettre en place un réseau d'établissements d'accueil pour fous qu'il nommera lui-même "asiles". Avec l'abolition des lettres de cachets, les "insensés" sont traité de manière beaucoup plus diverses que précédemment, puisqu'ils étaient systématiquement envoyés en prison.

Au XIXème siècle, les "fous" ou "aliénés" pouvaient être placés en asiles par Placement d'Office (PO) ou Placement Volontaire (PV : par la volonté du peuple). Ceci était possible dans le cadre de la protection de la Société et des aliénés, conformément à la loi du 30 Juin 1838. Un individu pouvait également se présenter en asile et demander à se faire interner : il était alors dit en "service libre". A cette époque, la vie en asile ressemblait plus à un emprisonnement qu'à un internement. De fait, les traitements curatifs étaient peu nombreux et toute infraction au règlement était sévèrement punie. Pour ce faire, ils étaient souvent privés de promenades, de tabac, placés en chambre d'isolement ou immobilisés à l'aide de fauteuils de force, de camisoles ou avec des contentions sur leur lit. Jusqu'à la circulaire du 19 Juillet 1819, les gardiens d'asiles pouvaient être armés de bâtons, de nerfs de bœuf ou accompagnés de chiens qui s'en prenaient aux aliénés. Les traitements alors proposés par ce type d'infrastructure étaient aussi inefficaces que barbares. Les plus communs étaient la saignée, l'utilisation de purgatifs et/ou vomitifs afin de vider le corps de ses "humeurs" qui étaient considérées comme l'origine du mal. L'utilisation de sédatifs était aussi répandue. Parfois, afin de calmer un patient particulièrement énervé, le personnel lui faisait frôler la mort pour déclencher chez lui un état de choc. Les femmes étaient souvent stérilisées de force et se faisaient comprimer les ovaires en période de crise afin de les calmer. Tout les aliénés étaient régulièrement aspergés d'eau glacée afin de stopper leurs crises.
Les asiles fonctionnaient en totale autarcie et les aller et venues étaient très rares étant donné que les médecins, le personnel soignant et les internés vivaient dans l'enceinte de l'établissement. Les personnes internées l'étaient souvent à vie car elles avaient fort peu de chance de rémission. Par exemple, seul 5% des patients de la clinique de Passy sortent de l'asile remis.

c. Gérard de Nerval : un auteur handicapé du XIXème siècle






      Gérard de Nerval, de son vrai nom Gérard Labrunie est un écrivain et poète Français né le 22 Mai 1808 et mort le 26 Janvier 1855, à Paris où il est retrouvé pendu à une grille au niveau de l'actuelle place du Châtelet. Il eut de nombreuses crises de folie, notamment de Février à Septembre 1941. Ses crises le forçaient à faire des séjours répétés en clinique. Durant ses moments de lucidité, il écrivit de nombreux chefs-d’œuvre tels que Sylvie, Les Filles du feu et Les Chimères. Nous nous appuierons d'ailleurs sur le poème "El Desdichado" extrait de ce dernier recueil.




"El Desdichado", extrait du recueil Les Chimères, est un sonnet de Gérard de Nerval. Nous allons voir comment le mal-être et la folie de l'auteur transparaissent dans cette œuvre.

Dès le premier vers, on remarque une énumération « le ténébreux - le veuf - l'inconsolé » qui met en relief le désespoir et le mal-être mental de Nerval. "Le ténébreux" fait référence à son état d'esprit sombre puisqu'il sort de deux graves crises. "Le veuf" se rapporte à la mort de l'actrice Jenny Colon en 1842, pour laquelle il éprouvait un amour à sens unique à la limite de l'obsession. Certains prétendent d'ailleurs qu'il lui voua un culte après sa mort. "L'inconsolé" explicite sa tristesse et son malheur suite à cette disparition. L'utilisation de l'expression "prince d'Aquitaine" pour se désigner lui-même fait référence à Edouard de Woodstock (1330-1376) qui était remarquable lors des batailles grâce à son armure noire. Elle était, pour ses contemporains, une représentation visible de sa noirceur d'âme, son esprit sobre. Cela se rapporte ici à celle de Nerval : son handicap mental. Grâce à l'expression "ma seule étoile est morte", on comprend à nouveau la référence à Jenny Colon qui est accentué par la typographie du terme "seule". Cela insiste sur le noir, le néant, le vide, le désespoir de l'auteur. L'oxymore "soleil noir" associé au substantif "mélancolie" accentués par leur typographie ainsi que par la métrique de l'alexandrin mettent en valeur la tristesse, la noirceur et la folie de l'auteur. Nerval formule au vers neuf deux questions directes "Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?" Phébus étant l'un des noms d'Apollon, le dieu du chant, de la musique, de la poésie, mais aussi de la purification et de la guérison. On peut voir ici un rapport au handicap mental de l'auteur et à son souhait de guérison. Lusignan (1159-1194) fut le roi de Jérusalem, il était maladroit et désastreux dans son gouvernement. En opposition à Armand Louis de Gontaut-Biron (1747-1793), militaire français et amant de Marie Antoinette qui connut une rapide progression au sein de l'armée. Cette interrogation nous dévoile les doutes de Nerval qui se demande s'il a réussi brillamment ou échoué dans sa vie. On peut penser que tout ceci est une remise en question de l'auteur face à son handicap. Pour finir le vers douze "Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron" peut faire référence à deux événements marquants de la vie du poète : ses deux séjours en prison, l'Achéron étant une représentation métaphorique de l'univers infernal du milieu carcéral. Ou bien, ce peut être un rappel aux deux crises précédant de peu la rédaction de ce poème, ici l'Achéron, le fleuve des enfers, ferait référence à la folie de Nerval.

A travers tout ce sonnet, le poète nous explique à grand renfort d'images et de métaphores son abattement ainsi que ses troubles mentaux.

Pourtant, contrairement aux idées reçues, les œuvres d'artistes torturés par un handicap ou une maladie mentale ne sont pas forcément destructurées, "El Desdichado" en est l'exemple parfait.


II. XXème siècle : la reconnaissance du handicap mental


                A présent, nous nous intéresserons au XXème siècle. Nous évoquerons d’abord le personnage de Freud et le freudisme, puis nous observerons l’apparition des hôpitaux psychiatriques. Pour finir nous étudierons le cas d’Antonin Artaud et nous ferons l’analyse de trois des lettres des Nouveaux écrits de Rodez.

a. Freud et le freudisme


Freud est un élément majeur dans la prise en charge et la reconnaissance des causes du handicap mental.

Il naît en 1856 et meurt en 1939. Freud était un neurologue et un psychiatre autrichien issu d'une famille juive. Il a été professeur à la faculté de Vienne en 1883. Il partit en exil à Londres en 1838 pour fuir l'antisémitisme du régime nazi. Freud était athée et luttait contre la religion car selon lui c'était un obstacle à l'intelligence humaine et à son développement.




Il fut l'un des fondateurs de la psychanalyse qui est considérée comme un moyen de guérir les névroses par une analyse psychique. Elle est définie comme une méthode d'investigation dans les processus mentaux, thérapeutiques, fondée sur une théorie du fonctionnement psychique. Il a trouvé une explication aux phénomènes collectifs courants mettant en cause l'inceste ayant conduit à son interdiction. Il développe cette idée dans Totem et Tabou, qu'il écrit en 1913. Sa psychanalyse a été grandement critiquée par ses opposants qui lui reprochaient le manque de preuves scientifiques de son efficacité et le comportement sectaire de ses partisans. Il écrivit l'essai Le Moi et le Soi en 1923, celui-ci devint une œuvre majeure de la psychanalyse.



« Le Siècle de Freud est passionnant du début à la fin, selon Eli Zaretsky dans Le siècle de Freud, une histoire sociale et culturelle de la psychanalyse, ce n’est pas un essai de plus sur l’inconscient mais un récit documenté et critique du freudisme et est au niveau mondial sans précédent. »

            Le Freudisme est « la première grande théorie et pratique de la vie personnelle » qui inculque la notion de l’inconscient qui de nos jours nous paraît évidente. Cependant, cette compréhension de l’inconscient est une invention récente. Freud sera le premier à rompre, au XXème siècle, l'esprit rationnel et autonome des Lumières. La publication de l'Interprétation des rêves de Freud en 1899, mettra en avant une nouvelle manière d’être un humain. Cette nouvelle manière s’appelle le « modernisme ».

            En France, Jacques Lacan, après un retour aux textes de Freud, proposera un nouveau discours analytique. Lacan imposera la psychanalyse dans les pays latins et catholiques.

            Freud en libérant l’inconscient, aussi appelé la « libération du moi », le mot « moi » représentant l’inconscient, désintégrera l’ordre familial du XIXème siècle. Freud devient donc le complice involontaire d’une nouvelle aliénation.
 
             Freud sans le vouloir lancera la consommation de masse à cause de sa «convergence fatale», amenant ainsi les individus à assumer leurs désirs.



Dans un extrait du texte « Le rapport de la science aux autres domaines de la pensée », Freud remet en cause la séparation entre la science et les domaines comme la religion et la philosophie.

Dans les trois premières lignes de cette extrait, nous comprenons que l’auteur s’oppose clairement à la dissociation entre la science et les domaines du psychique. Pour ce dernier, la science est en rapport avec le psychique et le paranormal, notamment l’inconscient qui, jusqu’alors, faisait partie du psychique mais où Freud trouve des réponses scientifiques. Pour approfondir cette idée d’égalité, Freud écrira explicitement ligne quatre et cinq, « science, religion et philosophie auraient des droits égaux à la vérité », montrant la sûreté de ces propos comme une vérité générale, et son envie d’égalité dans tous les domaines. Insistant par la même occasion sur la liberté des hommes de choisir face à une telle situation. Par contre, Freud admet que son espérance et sa façon de penser sont belles et honorables, mais irréalisables à cause des antiscientifiques qui refusent l’avancée universelle. La phrase « malheureusement elle s’avère insoutenable » montre clairement que Freud n’a pas d’illusion quant à l’avancée rapide de sa philosophie de vie. Freud écrit que cette vérité sur l’égalité de la science ne doit pas être dite, puisqu’elle ne comporte aucune restriction, ni aucun mensonge, on le remarque avec le début de cette phrase explicite « la vérité ne peut pas être tolérante ». En revanche, l’extrait se termine sur la vision de l’égalité de la science et le fait que cette dernière soit présente dans toutes les activités humaines, mais souvent critique quand d’« autres puissances », religion, philosophie, etc., veulent en changer une partie.